Un projet social de territoire comme une recherche-action et une pratique émancipatrice

Par Christophe Pruvot

Une critique de la logique de projet. Nous proposons une rupture dans la logique de projet car nous ne souhaitons pas adapter le territoire mais nous comptons le transformer. La plupart des projets répondent à une logique de programmation, souhaitent satisfaire des objectifs opérationnels, se définissent par une méthode dite de certitude qui pense et agit selon des « recettes » éprouvées mais jamais remises en question.

Nous pensons qu’un projet social de territoire doit proposer une autre vision du monde. Pour nous, c’est un monde basé sur la confiance mutuelle, sur une démocratie directe et délibérative, sur un partage des pouvoirs, sur une organisation en relief où chacun peut prendre des responsabilités et des initiatives. Nous postulons que l’être humain est sujet, qu’Il est responsable de sa pensée et de sa connaissance. Il se construit et agit sur son environnement, il crée du nouveau, il transforme. L’être humain pense et cherche à comprendre à partir de ses propres expériences et dans l’action. La connaissance se construit, chemin faisant, dans nos expériences et notre activité mentale : c’est une théorie de l’apprentissage actif qui donne un sens à notre existence et à notre action sur le monde et dans le monde. Ici, penser n’est pas l’opposé d’agir : Ils sont complémentaires. L’action est pensée et est rendue visible parce qu’elle entre dans un système avec autrui. Ainsi, peuvent naître les initiatives et les transformations.

Bénévoles ou travailleurs sociaux, nous sommes des praticiens chercheurs ancrés dans un territoire en relation avec les habitants et tous les acteurs agissants sur ce territoire. Nous travaillons et œuvrons à travers une démarche appliquée, imbriquée et engagée de type « recherche – action » ou « recherche – accompagnement » : une investigation et une recherche par la production de connaissances, un rapport dialectique où les théories interrogent les pratiques, un croisement entre une démarche réflexive et les expériences de terrain. A travers cette pensée complexe, dont les traits essentiels sont de fournir une culture qui permette de distinguer, globaliser, contextualiser et aborder les problèmes fondamentaux, nous nous attachons à préparer les esprits à répondre aux défis que pose la complexité des problèmes, à affronter les incertitudes. Pour nous, l’éducation et l’accompagnement doivent permettre une compréhension du monde, une compréhension et une reconnaissance mutuelle entre les acteurs, entre les êtres humains.

Tout projet réunit un ensemble de moyens matériels, immatériels, financiers et humains rassemblés pour développer et animer une action globale en répondant aux enjeux que les acteurs (du projet) ont partagés. Nous envisageons le projet dans sa complexité, sa globalité, son organisation, ses interactions et avec tous ses acteurs. Notre association, son centre social et son espace de vie sociale sont considérés comme un système avec un environnement, comme un système dynamique qui interagit avec son environnement. C’est ainsi que nous observons les processus du changement et les problèmes dans leur ensemble, leur entièreté, leur intégralité et nous pouvons élaborer les hypothèses du changement. Notre intervention, abordée comme une recherche qualitative, nous permet de recueillir et d’exploiter des données (quantitatives, qualitatives, objectives, subjectives, rationnelles et affectives) parce que nous désirons décrire, expliquer et transformer. Cette recherche action vise à donner du sens, en allant au-delà de la description par l’explication et la théorisation. C’est bien le territoire qui est terrain d’obser­vation et objet de notre recherche. L’objectif de notre intervention est de pro­duire des résultats qui s’intègrent dans une construction commune avec tous les acteurs du territoire. C’est une démarche largement constructiviste avec une logique intentionnelle, une visée transformatrice, un projet de changement délibéré d’une situation donnée. C’est par l’action que l’on pourra générer des connaissances utiles pour comprendre et changer la réalité sociale du système. La théorie supportera l’action ou émergera de l’action. La théorie permettra de comprendre et d’agir sur les problèmes réels. Il s’agit avant tout de fournir aux habitants, aux bénévoles, aux professionnels et à tous les acteurs du territoire une représentation intelligible qui leur permette d’agir plus efficacement : Il faut connaître pour changer et la pédagogie pour comprendre.

Les habitants apprennent à se connaître vraiment, ils se rencontrent et se recon­naissent. Ils abordent les responsabilités différemment : pas par obli­ga­tion mais par engagement. C’est ainsi qu’ils appréhendent une nouvelle démo­cratie. Lorsqu’on parle de démocratie, Il ne suffit pas de demander un avis, il ne suffit pas de communiquer une information ou d’inviter à participer. Non, dans notre conception de la démocratie et du pouvoir, les habitants ont les moyens de prendre des initiatives, de diriger, de piloter, de s’impliquer, d’agir sur ce qui est important pour eux. C’est un pouvoir de faire, une démocratie du faire, c’est avoir un pouvoir sur les choses qui nous concernent. C’est une vraie pratique émancipatrice et démocratique : une pratique « d’empowerment ». « L’empowerement » est un processus par lequel un individu ou un groupe développe et acquiert des moyens de renforcer sa capacité d’action à la fois individuelle et collective. Le terme « empowerment » recouvre bien la dimension du pouvoir mais aussi le processus d’apprentissage pour y accéder : processus qui est centré sur les forces, les ressources, les droits et les habiletés des individus et des groupes et non sur leurs déficits ou handicaps. Les personnes et les collectifs ont déjà du pouvoir mais ce dernier reste à révéler, à développer par l’action collective. Nous plaçons la capacité à agir comme fondement de l’ensemble des interventions et des pratiques sociales.

Notre projet social de territoire affirme une posture éthique, engagée et démocratique. Nous fonctionnons à travers une posture éthique, à travers une réflexion sur les comportements à adopter pour rendre le monde humain habitable. C’est une recherche constante d’un idéal de société et de vivre ensemble. Nous nous intéressons aux rapports avec autrui. Cette posture porte sur les conceptions du juste, du bien et de l’accomplissement humain. Nous affirmons que l’engagement doit être au cœur de notre action. Cet engagement, c’est prendre parti par notre action et notre discours sur des questions et des projets politiques, culturels et sociaux. Par cet engagement, nous donnons un sens à notre existence et notre action. Nous sommes attachés à la démocratie et nous définissons la démocratie comme un processus de transformation inachevée du monde qui permet de penser et comprendre le monde, de peser sur les choses, d’argumenter sans utiliser le mensonge, de participer aux discussions, d’inventer ses formes d’expression, d’associer toutes les personnes, de permettre la transformation sociale, d’influencer les décisions, d’interpeller le pouvoir public, de faire naître les conflits, de reconnaître les contradictions, de ne pas isoler les personnes, d’aborder toutes les questions, de donner accès à l’espace public, de coopérer pour construire le monde, de croire et d’espérer.

Un projet social doit prendre en compte la diversité d’un territoire, doit être ancré dans le réel de ce territoire, doit rendre visible celles et ceux qui sont opprimés, doit porter la parole des plus fragiles et des plus vulnérables (fragilisés par un système oppresseur, rendus vulnérables par la culture néolibérale).

Un projet social est, aussi, un projet politique.

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